Elle a volé mon innocence

À l’étage de la maternité, les visiteurs pouvaient voir les bébés à travers une vitre, et tous faisaient des remarques à propos de ma « tête d'œuf ». Mon crâne est passé par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, bleu, vert, rouge et jaune pour enfin devenir rosé. Je n’avais également pas un seul cheveu sur la tête.

Cet accouchement a été suffisamment marquant pour que le personnel se souvienne de moi neuf mois plus tard lorsque j'arrivai aux urgences après un accident de train. J'ai ma petite idée sur les raisons pour lesquelles il a été si compliqué.

C'est comme si je savais que je ne serais pas la bienvenue.

En effet, mes parents étaient persuadés que je serais un garçon et que j'allais pouvoir remplacer le fils qu'ils avaient perdu un peu plus d'une année auparavant après avoir contracté une hépatite. J'aurais dû m'appeler Eric, comme lui. En toute bonne conscience, ils n'avaient pas prévu de prénom féminin puisqu'ils n'avaient même pas imaginé que je puisse être une fille.
Lorsque l'infirmière leur demanda quel prénom ils avaient choisi pour leur petite fille, mon père dit à ma mère :

« Puisque c’est une fille, on pourrait l'appeler Arlette, ça serait bien. Qu’en penses-tu ?

- D'accord, c'est une bonne idée » a alors répondu ma mère.

Arlette était le prénom de feu la sœur aînée de mon père, décédée à quelques mois de vie en tombant dans les escaliers.
Le rapport médical avait conclu à un accident. C'est la seule que je sais de cette tante à laquelle je dois mon prénom.